mardi 29 mars 2011

L’école marocaine


G
rèves, violence, échec scolaire. Trois mots qui se répètent souvent sur la scène pédagogique nationale, comme s'ils définissaient à eux seuls l'école marocaine d'aujourd'hui. Les réformes gouvernementales se succèdent, le ministre de l'éducation nationale modifie les programmes scolaires en tenant relativement peu compte de l'avis des professeurs et des spécialistes, tandis que pour les responsables, un bon professeur, c'est celui qui ne fait pas grève.
Et pendant que les bonnes consciences ne cessent de répéter que « ah, l'école, c'était quand même mieux hier ! », les milliers de professeurs des écoles marocaines travaillent au quotidien avec leurs pédagogies, leurs opinions, leurs valeurs et leurs convictions personnelles, mais dans quel but ? Instruire leurs élèves avec la meilleure façon qu'elle soit, en s’impliquant davantage dans le processus de reforme, ou être tout simplement dans le rôle du spectateur qui voit le train passé. Qu'on les qualifie de compétents ou de négligents, peu importe : ils sont présents, dans des situations  souvent hostiles, surtout en milieu rural, pour donner à chaque enfant la possibilité d'accéder, un jour, à l'âge adulte au plus gros bagage culturel et au meilleur dossier scolaire possibles, quel que soit son milieu d'origine, sa culture d'origine ou la catégorie socioprofessionnelle à laquelle il appartient
Les réformes successives du système éducatif n’ont pas encore abouti à des résultats satisfaisants. Là est l’essentiel. L’école " peut mieux faire ". Pour avoir le courage de remettre l’ouvrage sur le métier, peut-être avons-nous besoin de créer de nouveaux mots-clés (Programme d’urgence, école de réussite…), pour nous donner l’impression qu'il y a un enjeu, un défi nouveau. Ne nous y trompons pas : si le langage est nouveau, l’approche pour répondre aux problèmes de l’école reste inchangée.
Dans le meilleur des cas, les jeunes sont " savants ", lorsqu'ils sortent de cette école. Ils ne sont pas nécessairement compétents. Autrement dit : beaucoup n’ont pas appris à mobiliser leurs savoirs en dehors des situations d’examen. Ce qu'ils savent ne leur est utile hors de l’école que s’ils parviennent à identifier, activer et coordonner leurs savoirs, voire à s’en détacher pour inventer des solutions originales, lorsque la situation exige d’aller au-delà des savoirs établis. On a mieux compris aujourd'hui que cette mobilisation ne se fait pas spontanément, au gré de l’expérience. Le fait nouveau est que l’on s’en préoccupe désormais dès la scolarité de base.
Il y a, derrière les réformes du curriculum en termes de compétences, une prise et peut-être une crise de conscience. L’école accapare beaucoup d’années de la vie de chacun, en lui promettant que cet investissement va être utile. La désillusion est accentuée par le fait que, depuis quelques décennies, la scolarisation n’a cessé de s’étendre ; on a mis de plus en plus de jeunes à l’école, pendant de plus en plus d’années. Les obstacles à l’accès à l’école sont aujourd'hui généralement surmontés ou d’au moins en apparence. La question est maintenant de savoir si ce que on y apprend justifie les longues années qu'on y passe. La question ne se pose pas pour ceux qui apprennent en dépit de toute pédagogie, mais pour le plus grand nombre. Dans une société moderne, on estime que tous ont besoin de savoirs et de compétences.
Pourquoi y a-t-il autant de jeunes qui, après dix ans passés à l’école, ne savent pas véritablement ni lire ni écrire ? Et pourquoi ceux qui ont passé des examens ne parviennent-ils pas à se servir de leur savoir dans la vie, par exemple pour s’intégrer dans le monde du travail ou tout simplement pour aller s’inscrire dans une grande école, sans avoir à chercher l’aide des adultes ? La réponse à toutes ces questions est simple : tous ces élèves ont été formés à ne rien faire puisqu'ils ont passé la totalité de leur vie d’élève, assis sur un banc, et laissant aux éducateurs le soin de faire tout le travail. En d’autres termes, ils ont été habitués à la léthargie et à recevoir sans donner.L'enseignement dans notre payer est un enseignement à vrai dire essentiellement théorique-manque de moyens oblige- C’est donc un nouveau défi que l’école doit soulever maintenant qu'il existe et touche tout le monde, elle doit faire en sorte qu'elle atteigne ses buts pour tous ou presque tous, en optant pour un enseignement basé sur les côtés pratiques.
Une compétence, disent les spécialistes, est une capacité d’action efficace face à une famille de situations, qu'on arrive à maîtriser parce qu'on dispose à la fois des connaissances nécessaires et de la capacité de les mobiliser à bon escient, en temps opportun, pour identifier et résoudre de vrais problèmes. Certaines compétences mobilisent de nombreux savoirs scolaires, d’autres font appel à d’autres types de savoirs, plus liés à des contextes d’action particuliers. La compétence de communication, par exemple, fait souvent appel à des savoirs d’expérience, à des savoirs " psycho sociolinguistiques " qui ne sont pas enseignés à l’école de base. Travailler une telle compétence à l’école ne peut donc se résumer à donner une large culture générale, encore moins à dispenser quelques savoirs procéduraux sur la communication. Il s’agit d’entraîner la communication, en faisant varier les contextes et les enjeux. On se trouve dans le droit fil d’une pédagogie de la langue comme outil de communication.
D'autres compétences, par exemple financières (gérer son budget, décider d’un plan d’épargne ou d’un investissement, prévoir le montant de ses impôts ou dépenser sans être dans les chiffres rouges), font appel à des connaissances mathématiques, à la notion d’intérêt, à diverses opérations, aussi bien qu'à des connaissances juridiques et commerciales. Une partie de ces connaissances sont acquises à l’école.
Il y a toujours des connaissances " sous " une compétence, mais elles ne suffisent pas. Une compétence est quelque chose que l’on sait faire. Mais ce n’est pas un simple savoir-faire, un " savoir-y-faire ", une habileté. C’est une capacité stratégique, indispensable dans les situations complexes. La compétence ne se réduit jamais à des connaissances procédurales codifiées et apprises comme des règles, même si elle s’en sert lorsque c’est pertinent. Juger de la pertinence de la règle fait partie de la compétence.
Les deux grands dilemmes majeurs qui définissent l’école marocaine d'aujourd'hui sont, d’une part son énorme fardeau financier qui pèse sur l’économie marocaine et le budget de l’Etat vue qu'il accapare plus 20% du PNB. Et d’autre part l’inefficacité de cette même école à cause de ce qui a été dit auparavant, et aussi à cause de ces nombres colossaux d'étudiants qui n’ont pas pu suivre leurs études pour une raison ou pour une autre. Ou ceux qui les ont suivi mais dans le mauvais sens en se trouvant au bout de tunnel au pied du mur avec un diplôme ou un certificat d’étude supérieur qui ne sert à rien.  

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